Ces minces qui veulent grossir

On connaissait la boulimie, l'anorexie, mais les années 2010 marqueront certainement l'émergence d'une nouvelle forme de souffrance : ces millions d'anonymes, qui, chaque jour, souffrent dans leur chair d'avoir le poids idéal.

La souffrance du poids idéal, Jean Martin, spécialiste du middle-management chez Medium, nous l'explique : "J'ai 35 ans, deux enfants, je suis de taille moyenne, de corpulence moyenne, des cheveux mi-longs, tout est moyen en moi. Personne ne me remarque. Si vous saviez comme j'envie Frank, l'informaticien. Tout le monde l'appelle "le gros" en riant. Ils ont l'air de l'aimer." Car plus que le rejet d'être aux normes dans une société oppressante par, justement, sa volonté de normer, c'est avant tout la peur de l'anonymat identitaire qui travaille Jean, qui nous avoue, les larmes aux yeux : "Parfois, j'aimerais même avoir un petit sexe, ne serait-ce que pour savoir enfin ce que c'est d'être différent." Hélas pour Jean, son sexe fait exactement 15,14 cm soit la moyenne des français.

"Rendez moi mon bide"

Tomber dans le cercle vicieux du poids idéal, c'est également accuser des responsabilités souvent insupportables. Jacques Dupont, qui à 25 ans vit dans une cave chez sa mère, nous raconte : "Quand j'étais un gros lard, c'était facile d'avouer à tout le monde que j'étais puceau et que je passais mes journées à pratiquer de l'informatique de type ludique. Ma mère avait pitié et me laissait tranquille. Mais maintenant que j'ai ce corps de rêve, j'ai l'air ridicule. Mais je ne veux pas perdre ma virginité, je veux leveler (faire gagner des niveaux au personnage virtuel incarné par Jacques, un elfe noir de 110 kilos, projection inconsciente de ses fantasmes NDLR), encore et encore ! Maman m'a inscrit sur meetic et je reçois plein de demandes en permanence. Elles veulent mon corps, c'est tout. " Là encore, Jacques s'effondre en larmes, tentant d'avaler un snickers frit dans de la pâte à beignet : "Rendez moi mon bide !" sanglote-t-il.

"J'ai connu l'enfer"

Plus de 2,5 millions de français souffriraient ainsi du "syndrome des gens parfaits". Modeste Fibre, docteur spécialisé en pathologie du poids idéal, nous avoue la bouche pleine : "Je suis un ancien rescapé de l'enfer du poids idéal. Tout le monde m'aimait, me trouvait sympathique, sans connaître ma vraie personnalité sombre et cynique. Je devenais transparent. Un jour, une bande de jeunes m'a taggué avec leur be-bon en croyant que j'étais une affiche publicitaire !" Pour en sortir, Modeste a du mettre les bouchées doubles : "Il n'y a pas de secret pour sortir de l'abîme. Il faut une volonté de fer. Toutes les heures, une barre chocolatée, trempée dans de la crème chantilly. Systématiquement se resservir à chaque plat. Et bien sûr proscrire à tout prix ces toxines favorisant le transit que sont salades et légumes verts. "

Mais même ainsi, la partie n'est pas gagnée. Le docteur Fibre poursuit : "Souvent les gens prennent 30 ou 40 petits kilos et croient qu'ils sont tirés d'affaire. Ils redeviennent à nouveau des gros lards conspués et se relâchent. C'est le pire moment. Par inattention, on peut oublier de saucer son assiette ou de prendre un soda sucré, et paf ! deux kilos potentiels à gagner qui disparaissent. C'est dramatique. "

"Le gouvernement a une attitude criminelle"

Le Cercle des Mince Anonymes animé par Modeste Fibre n'est pas tendre avec le gouvernement. "5 fruits et légumes par jour ? C'est tout simplement criminel" affirme Vanilla Tigre, une danseuse classique en pleine rémission d'un poids parfait. "De toute façon il est de notoriété publique que le gouvernement est un pantin entre les mains des lobbys puissants des cultivateurs de poireaux et de navets. Pour ces entités, seul le profit généré par la vente des légumes verts compte, au mépris total du bien-être des consommateurs. D'ailleurs, la salade chez McDo, c'est eux. "

Modeste Fibre est toutefois plus optimiste à ce sujet : "Il n'y a qu'à jeter un œil sur nos sénateurs : ils sont grassouillets et dodus. Au fond d'eux, ils savent apprécier un baba au rhum noyé dans la crème chantilly. Mais veulent-il garder ce secret pour eux ?"

La question reste posée.