Nombres Premiers SAS


33 divisible par 1 et 3 et 11 et 33 (nombre composé)


Les résultats sont tombés en un quart d’heure.

Le professeur se tourne vers l’angliche et lui dit avec un air grave qu’ils sont premiers. Ce dernier renifle comme une locomotive. Je trouve opportun de rappeler qu’ils m’avaient promis un payant comptant à livraison. L’angliche explose (dans un français parfait) :

“Vous demandez à être payé...”

Le professeur l’interrompt en mettant sa main devant lui. Il dit onctueusement :

“Un accord est un accord. Avant de procéder au règlement, nous aimerions...échanger amicalement, entre client et fournisseur. Nous sommes assez surpris de la capacité de votre entreprise à produire des nombres premiers non triviaux de ces ordres de grandeur. Vraisemblablement, vous disposez d’une méthode inédite qui nous échappe. Si c’est l’argent qui vous intéresse, nous serions prêts à payer votre prix pour ne plus vous acheter vos premiers, mais disons...une licence d’exploitation exclusive de votre méthodologie, renouvelable.”

Bien sûr. Et dès que je leur dis que c’est la débile qui avance les chiffres, ils lui mettent le grappin dessus, et je peux m’enfoncer leur contrat de licence bien profond dans le cul.

Je renouvelle ma demande concernant le paiement comptant, et le professeur me tend un bloc épais de billets si frais qu’ils semblaient encore chauds de la presse. 200 billets violets de 500 € chacun, je ne savais même pas que cette valeur existait.

Je leur demande quand même ce qu’ils paieraient pour connaître notre méthode. Le professeur allait répondre quelque chose mais cette fois-ci c’est l’angliche qui le coupe :

“De l’argent, mais c’est pas fini, oui ? Vous avez réussi à livrer deux premiers de 300 chiffres en deux semaines, et vous venez ici comme un minable quémander cette liasse à la con ? Mais vous êtes un demeuré ou quoi ?”

Je réponds assez décontracté que je le trouvais plutôt nerveux, le rouquin.

“Ouais, je pense que vous êtes un demeuré, qu’il me répond en pointant du doigt et en souriant de ses dents pourries - bienvenue au Royaume Uni. Alors comme vous êtes un parfait idiot, je vais vous raconter lentement une métaphore pour débiles afin que vous compreniez.”

“Imaginez que nous soyons des sprinteurs et que nous fassions le cent mètres en moins de dix secondes. Un jour, Nombre Premiers SAS se ramène et fait le cent mètres en moins de dix secondes, comme nous. Comme on aime bien bizuter les nouveaux, on leur demande de le faire en moins de 9 secondes. Et ces connards y arrivent ! Putain, ils sont plus forts que Usain Bolt ! Comme on arrive pas à y croire, on décide de les faire chier et on leur demande l’air de rien de faire le 100 mètres en la moitié du temps, c’est à dire en 5 secondes.”

J’étais en train de comprendre, et j’étais pas vraiment à l’aise. L’angliche le sent et il me regarde avec ses yeux tous ronds. Il lache :

“Et ils le font. Ils courent cent mètres en 5 secondes. Et qu’est-ce qu’on fait ? On leur demande s’ils peuvent le courir en deux secondes, juste pour voir. Et comme cela semble un peu simple, on leur demande de faire l’aller-retour.”

Il attend.

“Et ils le font. Avec leur trois playstations de merde. Et ils viennent ici, nous livrer avec un doux sourire. Et nous, on est comme des cons. Parce que si vous les aviez sorti avec votre cerveau de rat mort, vous auriez la capacité technique de tenir le monde par les couilles, vous auriez vidé incognito le compte en Suisse de votre choix et vous seriez à la Barbade en train de vous faire dorer au soleil. Mais non, vous venez ici comme un blaireau demander cent mille malheureux euros. Donc, ces chiffres, vous les avez obtenu autrement. Mais comment ?”

Pouvais-je négocier cette information ? Je pensais à ce qui m’avait motivé à me lancer dans ce business au début de l’aventure et je leur lâche avec un sourire de dégoût :

“Donc en gros, ça vous fait grave chier que j’ai une poule aux oeufs d’or, et plutôt que d’avoir mes oeufs, vous voudriez la poule ? Et combien de millions vous voudriez me l’acheter, ma petite poule ?”

L’angliche a piqué une crise. Il a retourné la table, il a fracassé l’ordinateur du professeur contre un mur, mais il ne m’a pas touché. J’étais un peu con, sur ma chaise sans table devant. Debout, c’était un sacré bonhomme, on sentait l’invasion viking dans son arbre généalogique. Il me pointe encore du doigt, cette manie, et me regarde farouchement :

“Vous êtes une personne stupide, stupide ! Stupide. Je dirige le MI-1, le service de cryptanalyse le plus performant au monde !”

“C’est mon service qui a brisé Enigma ! Turing était dans mon service ! Nous avons conçu les premiers ordinateurs ! Mon déplacement ici et l’enquête vous concernant a coûté plusieurs millions d’euros. PLUSIEURS MILLIONS. Vous avez poussé à la dépression mes meilleurs experts. Et vous venez ici pour...cent mille putains d’euros ? Non ! Ne dites rien. Cessez de parler d’argent, méprisable individu !”

“Votre existence met le monde en danger, vous comprenez, espèce d’abruti ? Aux Etats Unis, ils vous auraient déjà passé dix fois au supplice de la baignade pour vous faire cracher la pilule. Nous avons les yeux sur vous ! Alors...j’ai un accord avec vos hôtes ici, et nous allons vous laisser partir, pour cette fois. Vous aller réfléchir à tout cela, bien tranquillement, chez vous.”

“Et dans quelques jours, vous allez revenir ici - pas la peine de prendre rendez-vous, les portes seront grandes ouvertes. Vous allez tout nous dire. Et n’ayez pas peur de tout nous dire. Si vous les avez trouvé dans un verset de Nostradamus, dites nous lequel. Si des petits hommes verts viennent de Mars pour vous le dire la nuit, pas de problème. Si Dieu vous apparaît en rêve et vous les chuchote, on prend aussi. Tant que c’est vérifiable, nous avons l’esprit ouvert. Et si vous voulez de l’argent, vous aurez les poches pleines.”

“Mais en ce qui me concerne, vous ne devriez pas toucher un centime, parce que ce que vous voulez nous vendre n’a en fait pas de prix.”