Nombres Premiers SAS


38 divisible par 1 et 2 et 19 et 38 (nombre composé)


Matt n’était pas intact mais plutôt bien réveillé le lendemain. Pour soutenir un moral pas bien haut, on s’est fendu d’un titanesque petit déjeuner dans un restau de cambrousse qui longeait la nationale menant à l’océan.

J’ai ordonné le fait qu’on ne parle pas des évènements de la veille et qu’on profite du moment présent...même si la suite des opérations semblait assez claire - on était dans un business de merde et on avait assez de cash pour rembourser nos investissements initiaux avec un petit extra -, j’ai pour principe de ne jamais prendre de décision à chaud.

On a beaucoup roulé ce jour-là sur les horizons plats de l’ouest, la radio à fond, se perdant dans les petits villages. Là, où les boulangeries font le nombre exact de baguettes par habitant et où seule la petite monnaie peut vous permettre d’acheter quoi que ce soit, l’apocalypse des transactions sécurisées semblait irréelle.

Les premières étoiles pointaient dans le ciel quand nous longions notre première bande de sable battue par le ressac de la marée haute. Le soleil immolait l’océan. J’étais dans la benne avec la fille, qui tête renversée, fixait le nombre sans cesse croissant des points pulsants de la nuit. Y voyait-elle la métaphore des premiers perdus dans l’infini obscur des nombres ordinaires ?

Je tape sur la vitre pour demander à Matt de s’arrêter. Le soleil plonge dans l’eau, y diluant sa texture orange. La fille nous suit, bras ballants, trébuchant dans le sable.

Mon plan était le suivant.

J’allais les planter là, tous les deux, et partir avec la voiture et le cash.

Il chialerait un peu, me détesterait, et puis il irait geindre devant l’angliche qui lui mettrait le grappin dessus. Du coup ils lui donneraient un job très bien payé dans son service de cryptotruc où y avait un mec qui s’appelle Turing et qui avait l’air méga important pour tous les crânes d’oeufs qui aiment les maths. Et il serait super heureux.

La fille retournerait à la case départ, dans l’asile, ou aux bons soins de l’angliche qui la mettrait sous une bulle et veillerait à ce qu’elle soit bien traitée. Ou alors, il pourrait l’éliminer, puisqu’elle représentait une menace. C’était chiant d’une certaine façon, mais à partir du moment où il l’aurait, il ne me rechercherait plus, moi.

Quand c’est quelqu’un d’autre ou moi - même quelqu’un d’autre, que, disons, j’aime bien - le choix est très vite vu.

Et moi, je ferai quoi ? Je me paierai du bon temps avec le cash. Pas trop longtemps, hélas.

Et je recommencerai mon boulot, comme avant. Retour à la case départ pour moi aussi. Je rappelerai mes anciens clients. Et le pire, c’est que je finirai par re-travailler pour MegaPrimes. Parce que la vie, c’est une suite de conneries de ce type. Dans 5 ans, je serai autour d’une table avec MegaPrimes, Matt et même ce putain d’angliche et l’argent passera de main en main et pendant qu’on s’ouvrira des bières et qu’on se racontera en riant la fois où ils ont tenté de me tuer en me recouvrant d’essence pour y foutre le feu.

Hormis un petit détail...dans 5 ans, nous approcherons de la faille...MegaPrimes sentira le sapin...et moi, il faudra que je vide mon compte, que j’achète, hum, des lingots d’or par exemple, et un bon coffre...il faudra que je me prépare...

Oh putain.

Cela n’arrivait pas souvent, mais...je venais de comprendre quelque chose.