Nombres Premiers SAS


5 divisible par 1 et 5 (nombre premier)


Et là, le jeune, il m’a tout laché, à commencer par son hamburger.

“MegaPrimes SA est une entreprise qui recherche, et revend, des nombres premiers. Ouais. Juste un nombre, comme 17 par exemple. A part que là, ce sont des grands nombres, composés de centaines de chiffres.”

Alors là, je dois dire que j’ai cru qu’il se moquait de moi. C’était n’importe quoi. Les nombres n’appartiennent à personne. Je peux pas dire aux gens “qui veut mon vingt six ?” et leur demander de l’argent pour ça, pas vrai ?

J’ai froncé les sourcils d’un air méchant mais il a du croire que je réfléchissais grave, alors il a m’a expliqué.

“Il y a deux types de nombres. Les nombres premiers, et les nombres composés. Tu vois le nombre 14 ? Tu peux le diviser par 2 ou par 7. Il est composé. Mais 17 ? il n’est pas divisible, sauf par lui-même ou par un, mais rien de nouveau, c’est le cas pour tous les nombres. Sauf zéro, mais on s’en fiche.”

“Le truc, c’est qu’on ne sait pas à vue de nez si un nombre est premier. S’il se termine par un 2, il est divisible par 2, alors c’est est pas un. Mais si tu as un gros nombre qui se termine par 7 ou par 1, impossible à dire comme ça. Donc on est obligés de faire tourner des ordinateurs pour les vérifier un par un. L’ordinateur il prend ton chiffre, et il regarde s’il est divisible par 2, par 3, par 5...et ainsi de suite...et quand on a un nombre premier, un nouveau bien sûr, des tas de gens se trouvent intéressés.”

Et bien ma foi, je venais de comprendre. Je lui disais qu’en fait, ils ne vendaient pas un nombre, mais l’information de la nature de ce nombre.

“Et ben mon grand, t’es encore plus rigoureux que moi ! C’est ça.”

Je lui demandais pourquoi ces personnes avaient besoin de cette information.

“Sans rentrer dans les détails, les nombres premiers sont l’outil de base pour fabriquer des messages codés. Pour les trucs d’agents secrets, tu vois mon pote. Mais pas seulement. Pour tout ce qui est transaction sécurisée. Autrement dit, à chaque fois que tu retires de l’argent avec ta carte bancaire, que tu achètes en un clic sur ton téléphone ou sur internet, t’as du protocole sécurisé basé sur des nombres premiers. C’est ça où un truc appelé cryptographie quantique sur laquelle toute la planète se branle mais qui est aussi léger à manipuler qu’une tonne de briques. Bien entendu, y a des tas de petits malins qui aimeraient casser ces protocoles histoire que les flux financiers viennent les irriguer, eux ! Et donc ils trouvent, comme nous, des nombres premiers, et il en faut de nouveaux pour garder une avance. Bien entendu, les services spécialisés de l’Etat ont leurs grilles de nombres, j’ai même entendu parler d’experts confinés au secret...mais ils achètent de bons nombres auprès de services privés.”

Des bons nombres ? Qu’ils soient premiers ne suffisait pas ?

“Non, les nombres premiers, c’est comme les objets de collection, il y en a hors de prix, et d’autres qui ne valent rien. Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte :

1) Il faut qu’ils soient premiers ! Ha ha. Ca a l’air de rien, mais parfois on se plante !

2) Il faut qu’ils soient assez grands. Que 13 ou 17 soient premiers, merci madame, on le savait déjà dans l’antiquité. Quand je dis “grand”, ce sont des nombres composés d’au moins 100 chiffres. Plus il y en a mieux c’est. Maintenant plus c’est grand, plus ce sera difficile à vérifier, donc cela prendra du temps. MegaPrimes SA tire son nom de là, ce mot designe des nombres premiers de un million de chiffres !

3) Il faut que ce soit un nombre premier “pas facile à trouver”. En fait on a des petites “formules” et “bidouillages” - qui ne marchent pas toujours - mais qui permettent de trouver des premiers. Par exemple il y a des nombres qu’on appelle “Nombres de Mersenne”, de la forme 2n - 1. On fait varier n et de temps en temps on tombe sur un premier. Mais ça c’est pas la peine. Si on peut trouver le nombre premier avec un truc aussi facile, autant ne pas mettre de sécurité, tu vois ? Donc en fait il faut chercher, tamiser, dans des coins où personne ne cherche et aussi avoir de la chance, c’est un peu la loterie. On décide de travailler sur une tranche de nombres, souvent au feeling, et on trouve un premier dans le tas.”

C’est fou. Le bonhomme me tenait un discours identique aux chercheurs d’or d’il y a un siècle. Je lui fais la remarque et il insiste :

“En fait, tu ne crois pas si bien dire, pour la question de l’or. Parce que quand on a trouvé un nombre premier, il n’est pas rare qu’il y en ait un autre dans le coin. Parfois ils sont jumeaux, c’est à dire espacés d’un seul nombre. Donc oui, on peut parler de filon !”

Mais il n’avait pas fini sa liste :

“Enfin le dernier point, pour pouvoir toucher le jackpot...il faut être le seul à avoir découvert le premier...et bien entendu il ne faut pas le réveler à quiconque. Du coup ils ont tout un système de paiement étalé sur des années avec réduction des mensualités si d’autres personnes se pointent avec ton premier.”

Je l’ai remercié et même s’il m’avait tout expliqué simplement, j’avais besoin de temps pour réfléchir. Je lui ai laissé ma carte, en lui disant que s’il disait quoi que ce soit à son boss sur notre entrevue, je lui cassais les doigts.